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Quand le problème n'existe pas

Je vais vous conter une anecdote, un bout d’histoire de vie. J’ai un petit jardin où se trouvait un grand arbre, qui me faisait ombrage juste comme il faut. Mais déjà l’année dernière, il me paraissait faiblard. N’y connaissant rien en arbre, je ne suis pas allée plus loin d’autant qu’il a fait des feuilles, il a vécu, fait de l’ombre comme il le fallait. Cette année, il se comportait pire encore, débourrant très tardivement par rapport aux autres de son espèce et si peu fourni, remplis de branchages morts également. Quelques fourmis charpentières s’y promenaient. Et ce qui m’a la plus interpellée, son odeur de pourriture sans oublier que des écureuils grugeaient son bois ! Bon, assez d’arguments pour conclure qu’il y a un problème. Mais je suis psychologue et non spécialiste en arbre. J’ai donc mandaté une expertise d’autant qu’il y avait aussi une fente dans l’arbre, rien qui m’effrayait encore pourtant.


Après examen de l’évaluateur forestier, le verdict fut sans appel. L’arbre vieillissant se meurt ! Bon… il faut le couper, à cause de cette fissure qui le fragilise d’autant plus. Ne tardez pas, cet été maximum. O.K… pourquoi je vous compte tout cela ? Pour vous entretenir sur la notion d’angoisse et d’anxiété. Voilà le punch est dévoilé. Mais attendez, ce n’est pas fini ! Angoisse…. Oui, mais de quoi au juste ? Si vous vivez de l’angoisse, vous vous demandez bien quel genre de comparaison douteuse je peux faire. He bien voilà. Je sais que je dois intervenir à un moment donné.


Et c’est là que tout commence. Un jour il y avait du vent. Je regardais l’arbre et plus particulièrement la fente, qu’on ne voit pas tant que cela au départ. Et là, horreur ! J’ai vu la branche tanguer avec un jeu de 1 millimètre au niveau de la fente. Une vague de frayeur m’envahit instantanément. Mais il ne s’agit pas d’angoisse, pas encore. On peut parler de peur certes, mais il en faut plus, n’est-ce pas ? Comme il était près de 18h du soir et que je ne rejoindrais personne à cette heure, une peur me taraudait. Si la branche casse, c’est le tiers de l’arbre qui tombe… chez le voisin, détruisant toute sa cour au passage. Disons que ça fait un peu désordre !


L’angoisse c’est que cette crainte que la branche se brise m’a clairement tenue tendue toute la soirée avec tous les scénarios de catastrophe alimentés dans ma tête. Je tournais en rond dans ma maison. J’appelais des personnes proches pour leur manifester mes craintes, décharger ma tension interne. Je n’étais pas clairement en danger, déjà parce que si l’arbre se brisait, il tombait chez le voisin. Bon, mais le voisin pouvait le recevoir sur la tête s’il se trouvait dans sa cour à ce moment-là ! Il fallait tout de même être attentif, j’en conviens.

Il y avait un certain danger, réel, mais à condition d’avoir des vents plus forts encore, pas à ce stade-ci de l’histoire. Et il ne faut pas oublier qu’en fait, l’arbre était déjà fendu depuis un moment avant que je ne m’en aperçoive vraiment et des vents, il y en a eu d’autres avant !


La différence était que maintenant, JE LE SAVAIS ! Je n’ai trouvé de paix intérieure que lorsque j’ai eu l’idée d’installer une sangle de sureté pour rattacher la partie encore vaillante à celle vacillante… le lendemain. Donc la solution n’était pas encore mise en place, l’arbre pouvait toujours tomber dans la cour du voisin et faire des dommages matériels très importants. Techniquement l’arbre pouvait toujours se casser, mais moi j’avais ma solution en sachant que cela ne se ferait que le lendemain. Je vous l’accorde j’ai aussi vu que les vents cesseraient pour la nuit pour ne reprendre que le lendemain. Je ne suis pas certaine que j’aurais trouvé tout mon calme si le vent s’était maintenu ou avait augmenté. Mais j’aurais alors misé sur cette même solution en trouvant quelqu’un pour le faire le soir même puisque j’avais trouvé quoi faire. J’aurais payé une intervention d’urgence, la solution était trouvée. Le problème aurait alors été de trouver une personne pour installer une sangle, sachant le danger potentiel. Cela c’était de mon ressort. J’avais un moyen de m’en sortir.


L’angoisse me mettait au travail pour trouver une solution.

Le problème avec l’angoisse est de se mettre à tourner en rond dans sa sensation de mise en danger sans pouvoir en sortir, que cette mise en danger soit incessante tout en nous laissant vivre une certaine impuissance. Derrière, très proche de l’angoisse, il y a l’anxiété, et c’est elle le problème. Ce stress permanent du système sans aucune échappatoire, aucune porte de sortie, aucune solution envisageable et terriblement envahissant. De mon côté, j’ai vécu beaucoup d’anxiété jusqu’à la coupe de l’arbre même si enfin on avait entretemps sécurisé le vieillard mourant. Pourquoi ? Ses feuilles sortaient et toute une partie était belle, me faisant sentir terriblement coupable de l’abattre. L’anxiété fait oublier les raisons pour lesquelles on décide ou non quelque chose ou alors elle s’installe pour une situation qui ne trouve aucune solution. Tourne en boucle une situation anticipée, qui n’a pas eu lieu, qui n’aura peut-être jamais lieu d’ailleurs, mais qui vient éveiller notre système de survie. Tout notre système est aux aguets, prêt à l’action et avec toutes sortes de remises en question.


Vivre de l’angoisse à l’occasion n’est pas un problème, tout comme vivre du stress n’est pas non plus un problème. Être stressé est parfaitement naturel et normal. D’ailleurs notre corps a besoin d’une certaine dose de stress pour fonctionner, sans que cela devienne submergeant bien entendu. Le problème c’est quand ce fameux stress est là comme un compagnon non désiré, incrusté là et qui ne veut pas partir. Hans Selye, nommé le père du stress pour en avoir fait son cheval de bataille pendant sa carrière, soulignait cette distinction entre stress, détresse et stress permanent, générant un trouble d’adaptation généralisé. Un état d’anxiété permanent met la table à des crises d’angoisses régulières pour toutes sortes de situations qui dégénèrent ensuite en crise de panique. Alors, derrière les crises d’angoisse cherchez le terrain anxieux.


Vivre de l’angoisse est au départ naturel, comme vivre du stress. Vouloir s’en extraire, s’en échapper, ne plus ressentir ces effets dérangeants est un peu illusoire et constitue également une source d’aggravation, car on ne peut échapper à ces zones d’inconfort. Mais je vous l’accorde, c’est très désagréable. Tenter de s’en échapper reviendrait à tout contrôler dans la vie, ce qui est techniquement impossible. On peut maîtriser certaines choses, réagir adéquatement éventuellement, mais on ne peut pas éviter tout ce qui peut arriver. On est toujours susceptible de vivre quelque chose et éventuellement d’en mourir. C’est aussi cela la vie. On nait et on meurt et certains mystiques diront qu’on meurt à chaque instant d’où l’idée d’être pleinement vivant dans chacun de ces instants.


Vivre de l’angoisse face à un arbre est une chose. Vivre cette sensation à chaque fois qu’on est dans la rue à l’idée qu’une voiture peut nous écraser en est une autre. On est en danger dans un cas comme dans l’autre, mais traverser la rue est bien plus fréquent que d’avoir un arbre fendu dans sa cour. Cette fréquence induit de l’inconfort mental, qui à la longue, peut se transformer en panique parce que le repos n’y est pas et l’anxiété toujours présente. Et là, si tant est qu’il y ait une solution au problème envisagé, perçu, réel, on n’y accède pas du tout, car tout le corps déraille. Au-delà de l’inconfort psychologique s’installe un déséquilibre biologique important. La seule avenue n’est plus alors de régler le problème, mais de retrouver son équilibre interne. Le problème est déplacé. On n’est plus du tout en mesure de maîtriser la situation. Les gens qui vivent des crises de panique vous diront que cela arrive sans qu’ils le désirent justement, à l’insu de leur bonne volonté, au plus mauvais moment, bang ! Mais le résultat demeure contre-productif. Dans mon cas, l’anxiété n’a duré que quelques jours, l’angoisse fut transitoire et non accompagnée de panique. L’aspect de fréquence ne suffit pas. Même dans des cas transitoires, une perte de maîtrise de son corps peut aggraver la situation. Les personnes qui se noient sont dangereuses pour celles qui tentent de les sauver. D’ailleurs beaucoup sont mortes à plusieurs pour cette raison où la panique les empêche d’avoir le calme nécessaire pour une prise en charge salutaire. Des gens perdus dans des contrées isolées, paniqués par cette situation, ne voient même pas les éventuelles personnes arrivant sur leur chemin pour les aider ! La panique fait perdre la carte.


Lorsque l’angoisse s’installe pour toute chose, pas toujours palpable, là on est coincé, car il n’y a pas de réel problème autre qu’une anticipation importante, mais pas mal éloignée de la réalité. Lorsque l’angoisse se traduit en tout moment, pour des choses autant insignifiantes qu’importantes, là on a un problème ! Lorsque notre système global réagit comme si notre vie était en danger à la moindre petite alarme, ça devient difficile de fonctionner. Mais vous pouvez aussi entrevoir que tout le monde peut traverser des périodes d’angoisse, transitoires, même une psychologue ! Si l’anxiété sous-jacente continue d’être nourrie alors qu’il n’y a rien à faire ou qu’on a trouvé des solutions à mettre en place, c’est que ça se passe ailleurs. Et sachez que le corps a toujours raison, et le cœur a ses raisons que la raison ne saurait expliquer. Quand le corps réagit, c’est de cela dont il faut s’occuper.


Il n’est pas raisonnable. Notre mental l’est (encore que !), pas notre corps. Ainsi, en pleine crise de panique, pas la peine de dire que vous réagissez de manière exagérée ! Cela ne sert à rien, vous amène dans une optique où vous vous sentez incompris(e) et risque même d’intensifier le problème. Par contre, écouter votre corps, ça, c’est payant. Dans une telle situation, seules les techniques corporelles pour baisser la pression seront efficaces dans l’immédiat. Mais cela n’enlève pas la nécessité de travailler sur l’anxiété permanente par la suite. En pleine tempête on tente de sauver sa peau, mais ensuite un bilan est important pour faire autrement et saisir quel est le problème. Existe-t-il vraiment ? Et ça se travaille en consultation.


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